Groupe d'adultes en réunion autour d'un jeu économique

Théorie des jeux : comprendre son objectif et son importance en économie

4 décembre 2025

En 1950, deux mathématiciens de Princeton démontrent qu’il suffit parfois de vouloir gagner pour tout perdre. Ce paradoxe, loin de n’être qu’une curiosité mathématique, irrigue la manière dont des millions de personnes négocient, marchandent ou tentent d’anticiper les réactions de leurs concurrents. La théorie des jeux, loin du simple exercice intellectuel, façonne en profondeur notre compréhension des choix collectifs et des tensions qui les traversent.

La théorie des jeux, un outil pour décrypter les interactions stratégiques

La théorie des jeux s’est imposée comme un cadre pour décortiquer les situations où les choix de chacun dépendent de ceux des autres. Dès les années 1940, John von Neumann et Oskar Morgenstern ont jeté les bases d’un champ qui allait vite dépasser l’économie pour toucher la science politique, la biologie ou la sociologie. Leur ouvrage, publié chez Princeton University Press et intitulé Theory of Games and Economic Behavior, a marqué un tournant décisif.

L’intérêt de la game theory réside dans sa capacité à représenter ces rapports de force : elle modélise les décisions, anticipe les réactions, éclaire les jeux d’influence. On ne s’intéresse plus à un acteur isolé, mais à l’ensemble du groupe, chacun cherchant à adapter sa stratégie aux mouvements des autres. Cette vision irrigue la négociation commerciale, la concurrence entre entreprises ou la régulation des marchés.

Pour mieux saisir l’ampleur de cette approche, voici quelques repères sur ses origines et ses champs d’application :

  • Von Neumann et Morgenstern ont posé les premiers jalons de la formalisation moderne, installant la théorie des jeux comme pilier de l’analyse rationnelle.
  • Les usages de la théorie touchent à la tarification, aux enchères, à la négociation, aux fusions-acquisitions et à la politique de concurrence.
  • Princeton University Press a permis à ces travaux de rayonner, de Princeton à Cambridge, contribuant à l’essor du domaine.

L’essor de la théorie des jeux économiques doit beaucoup aux travaux menés à New York au milieu du XXe siècle. Reinhard Selten, Robert Aumann et Alvin Roth ont élargi l’audience et affiné les outils, notamment autour de la coopération et des équilibres. Ce cadre ne se limite pas à l’économie de marché : il met à jour les rouages des choix collectifs, là où les stratégies s’entremêlent, se heurtent, parfois s’annulent.

Quels sont les concepts fondamentaux à connaître ?

Équilibre de Nash et stratégies dominantes

La théorie des jeux s’articule autour de quelques grandes idées. L’équilibre de Nash, formulé par John Nash, décrit la situation où chaque participant choisit la meilleure option possible compte tenu du comportement des autres. Tant que personne n’a intérêt à changer seul de stratégie, la situation se fige : c’est la stabilité recherchée dans nombre de jeux économiques et politiques.

Le dilemme du prisonnier illustre parfaitement les tensions entre l’intérêt individuel et le bien commun. Chacun choisit ce qui lui semble le plus avantageux, mais le résultat collectif laisse à désirer. C’est là qu’apparaît la notion de stratégies dominantes : sélectionner ce qui maximise son gain, peu importe la décision adverse, quitte à sacrifier un résultat collectif supérieur.

Jeux à somme nulle et jeux coopératifs

Un autre concept clé : les jeux à somme nulle. Ici, le gain d’un joueur correspond exactement à la perte de l’autre. Cette structure, posée dès les premiers travaux de von Neumann et Oskar Morgenstern, a servi de socle aux analyses initiales. À l’inverse, les jeux coopératifs, étudiés par Lloyd Shapley, permettent à des acteurs de s’allier pour augmenter leur bénéfice commun.

Pour mieux cerner la diversité de ces situations, voici quelques exemples de notions et de figures marquantes :

  • Jeux répétés : étudier la répétition des interactions éclaire la naissance de la confiance ou des mécanismes de sanction.
  • Prix Nobel : des chercheurs comme Reinhard Selten, Robert Aumann et Alvin Roth ont été distingués pour leurs avancées sur la coopération et l’équilibre.

La discipline n’a cessé de s’enrichir des apports de la biologie, avec John Maynard Smith, ou de l’économie, grâce à Gérard Debreu, pour explorer la robustesse des équilibres et la dynamique évolutive des stratégies.

Applications concrètes : comment la théorie des jeux façonne l’économie et les affaires

Loin de rester cantonnée aux amphithéâtres universitaires, la théorie des jeux irrigue le quotidien des acteurs économiques. Elle éclaire la formation des prix dans les négociations, aide à décrypter les stratégies concurrentielles et oriente les choix lors des appels d’offres publics. Savoir anticiper les tactiques d’enchères, c’est mieux se positionner sur les plateformes d’achat, qu’il s’agisse de marchés publics ou de la vente d’actifs rares.

Les entreprises s’appuient sur ces outils pour piloter leurs décisions : fixer un prix, lancer un nouveau produit, réagir à une baisse tarifaire, choisir une alliance ou non avec un rival. Dans l’énergie, les télécoms ou la finance, la théorie permet de décoder les postures des concurrents et de se préparer à leurs réactions. En France, les équipes du CNRS explorent depuis longtemps l’effet de ces mécanismes sur la stabilité des marchés et la régulation des monopoles.

Lors des négociations internationales, l’approche s’avère déterminante : gouvernements et acteurs majeurs évaluent chaque option selon la grille de lecture des scénarios adverses. Sur le terrain de la politique de la concurrence, elle sert à détecter les ententes ou à analyser les stratégies de dissuasion, des leviers décisifs pour préserver la loyauté sur les marchés.

Dans la finance, arbitrage, spéculation et gestion du risque s’appuient sur la modélisation des comportements stratégiques. La théorie des jeux offre ainsi aux décideurs une vision plus fine, moins naïve des interactions humaines et de l’analyse économique.

Jeune femme analyse une matrice économique en extérieur

Au-delà de l’économie : quelles implications pour la société et la prise de décision ?

La théorie des jeux dépasse largement le champ économique. En politique ou dans la gestion des ressources, elle permet d’éclairer la fameuse tragédie des biens communs : chaque acteur, en agissant pour lui-même, peut mettre en péril l’équilibre collectif. Les débats sur le climat, l’eau ou l’énergie en sont de parfaits exemples. Quand la coordination fait défaut, le blocage collectif guette.

Cette grille d’analyse s’invite dans la psychologie, la biologie ou les sciences militaires. Le biologiste John Maynard Smith a appliqué la théorie des jeux à l’étude du comportement animal, dévoilant la logique des alliances et des rivalités. Les psychologues y voient un moyen de décortiquer les choix sous contrainte, la confiance ou la compétition. Dans le domaine militaire, la théorie sert à anticiper et modéliser les réponses adverses, que ce soit dans les stratégies de dissuasion ou la tactique sur le terrain.

La confrontation entre la main invisible d’Adam Smith et la rationalité stratégique des acteurs anime les débats publics. Les négociations syndicales, les réformes institutionnelles ou les conflits d’intérêts au sein des collectivités révèlent tous l’utilité de la théorie des jeux pour démêler l’écheveau des alliances, des ruptures et des compromis.

Pour saisir l’étendue des bénéfices de cette approche, on peut citer trois apports concrets :

  • Prévoir les réactions des adversaires potentiels.
  • Comprendre et anticiper les équilibres fragiles.
  • Analyser les rapports d’influence et les stratégies d’acteurs.

La théorie des jeux s’est imposée comme un allié de choix pour tous ceux qui cherchent à naviguer dans la complexité des interactions humaines. Qu’il s’agisse d’économie, de politique ou de sciences sociales, elle révèle l’envers du décor, là où l’instinct et la rationalité se livrent une partie serrée.

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